CAFÉ RENARD
Le grand comptoir de marbre
Des verres plein le dos
Craque comme un vieil arbre
Quand on s'y appuie trop
Au plafond de vieux lustres
Ont des lueurs fanées
Lentement les minutes
Passent dans la fumée
Au bar-tabac
De la rue Renard
Tombe le soir
Et tu n'est pas là
Au bar-tabac
De la rue Renard
Tombe le soir
Et tu n'es pas là
Il est cinq heures trente
Il est encore trop tôt
Mais j'aime mieux le chaud
Lentement je pénètre
Dans le Café Renard
Et je me sens renaître
Donnez-moi donc à boire
Au bar-tabac
De la rue Renard
Il se fait tard
Et tu ne viens pas
Au bar-tabac
De la rue Renard
Il se fait tard
Et tu ne viens pas
Là-bas derrière la vitre
Un tout petit monsieur
S'amuse à faire le pitre
En roulant de gros yeux
Devant moi une femme
Belle comme un camé
Revit de sombres drames
Et n'ose pas pleurer
Au bar-tabac
De la rue Renard
Il est trop tard
Et tu ne viens pas
Au bar-tabac
De la rue Renard
Il est trop tard
Je rentre chez moi
C'EST ENCOMBRANT L'AMOUR
C'est encombrant l'amour
Dans les appartements de nos jours
Non, il n'a plus sa place
On ne saurait pas où le ranger
On s'y prendrait toujours les pieds
C'est un cadeau qui embarrasse
L'amour
Les appartements sont petits, petits
Tout ce qu'on achète, c'est crédit, crédit
Les traites de l'auto ne sont pas payées
Et toi, tu me parles d'aimer
Les cloisonnements sont légers, légers
Et quand les voisins sont crevés, crevés
On entend des coups, des cris hystériques
Et toi, tu me parles musique
C'est encombrant l'amour
On ne fait plus de bonheur-du-jour
Le divan, la télé
Il faudrait vraiment tout déplacer
L'armoire, le buffet, la desserte
C'est un cadeau qui déconcerte
L'amour
Les stationnements sont coûteux, coûteux
Les encombrements sont nombreux, nombreux
Depuis quinze jours, j'attends le plombier
Et toi, tu me parles d'aimer
Les épanchements sont comptés, comptés
Les enlacements sont pressés, pressés
Au bout de huit jours, c'est la fin du mois
Et toi, tu me parles d'émoi
C'est encombrant l'amour
Il faut mettre un tas de choses autour
Faut une musique de fond
Du champagne et des divans profonds
Bref, des dépenses écrasantes
C'est un cadeau qui désoriente
L'amour
C'est encombrant l'amour
Il faudrait fixer une heure, un jour
Rien dans mon agenda
Ce sera pour la prochaine fois
Rappelle-moi au téléphone
C'est un cadeau qui désarçonne
L'amour
UN PEU D'ANGOISSE ET DE CAFÉ
La jeune fille un peu maigre qui passe les accessoires
Les couteaux les bouquets les ballons les miroirs
La femme qui sourit avec deux dents en or
À qui on va passer des sabres dans le corps
Si par hasard on les regarde
On se demande quelque fois
De quoi donc vivent ces gens-là
D'un peu d'angoisse et de café
Beaucoup de poisse et de gaieté
Deux éventails un matin blême
Le train du soir n'est pas chauffé
Trois tourterelles et du lamé
Ce soir on applaudit à peine
Mais de quoi vivons-nous nous-mêmes
D'un peu d'angoisse et de café
Le noir en satin blanc qui passe l'escabeau
Qui jette la sciure et soigne les chevaux
La mère qui soutient ses fils en pyramide
Et qui sourit toujours colossale et stupide
Si par hasard on les regarde
On se demande quelque fois
Mais de quoi vivent ces gens-là
D'un peu d'angoisse et de café
Beaucoup de poisse et de gaieté
Un soir de gloire et puis la gêne
Deux éventails trois fleurs fanées
Et sous les projecteurs qu'on aime
Tant de modestes vanités
Mais de quoi vivons-nous nous-mêmes
D'un peu d'angoisse et de café
Et les cuivres chantaient l'allocation chômage
L'amazone au matin fait aussi le ménage
Le magicien debout déjeune d'un œuf dur
Et les cuivres chantaient le bonheur des cœurs purs
Sans qu'une fois on les regarde
Sans qu'on se demande pourquoi
Ils ont vécu tous ces gens-là
D'un peu d'angoisse et de café
Beaucoup de poisse et de gaieté
Sous les néons glorieux et blêmes
Pauvres mots instruments faussés
Mais en somme on fait ce qu'on aime
Tant pis si ça n'a pas marché
Car de quoi vivons-nous nous-mêmes
D'un peu d'angoisse et de café
D'un peu d'angoisse et de café
A MI-CHEMIN
Entre toi et moi
Entre doute et joie
Entre rien et tout
Entre chien et loup
C'est à mi-chemin
Entre tout et rien
Que je te rejoins
Entre feu et froid
Entre jeu et joie
Entre fleur et fruit
Entre jour et nuit
C'est à mi-chemin
Entre tout et rien
Que je te rejoins
[Refrain:]
Être ensemble
C'est facile
Tout peut arriver
Être ensemble
C'est fragile
Tout peut se briser
C'est si tendre
De t'attendre
Il nous faut rester
Entre tu et vous
Entre sage et fou
Entre flûte et cor
Entre amour et mort
C'est à mi-chemin
Entre tout et rien
Que je te rejoins
Entre ici et là
Entre rêve et drap
Entre alliance et peur
Entre corps et cœur
C'est à mi-chemin
Entre tout et rien
Que je te rejoins
[Refrain]
Entre tôt et tard
Entre viens et pars
Entre terre et ciel
Entre ombre et soleil
C'est à mi-chemin
Entre tout et rien
Que je te rejoins
Entre plus et moins
Entre près et loin
Entre oui et non
Amour et raison
C'est à mi-chemin
Entre tout et rien
Que je te rejoins
DEUX HEURES DU MATIN
Tire sur toi la nuit
Cache misère et couvre-lit
Tire sur toi l'ivresse
Cache douleur cache tendresse
Peut-être qu'un secret se cache
Derrière l'ivrogne qui rabâche
Dans les sanglots du saxophone
Derrière le comptoir ou près du téléphone
À deux heures du matin
On n'attendait plus rien
À trois heures du matin
Le dernier verre de vin
À quatre heures du matin
La porte s'ouvre enfin
Et tu crois tenir le bon dieu
Dans le creux de ta main
Laisse passer le temps
Ronge chagrin ronge cadran
Laisse fuir les secondes
Ronge projet dévore monde
Peut-être qu'un secret s'efface
Derrière tes paupières lasses
Dans la poussière dans la sciure
La lettre d'amour que l'on jette aux ordures
À deux heures du matin
On n'attendait plus rien
À trois heures du matin
Le dernier verre de vin
À quatre heures du matin
La porte s'ouvre enfin
Et tu crois tenir le bon dieu
Dans le creux de ta main
Invente la folie
Demain s'arrête et fait crédit
Délivre tes chimères
Mange raison mange salaire
Peut-être qu'un secret s'envole
Dans la fumée dans les paroles
Dans ton vertige dans ton emphase
Dans ton effort pour finir tes pauvres phrases
À deux heures du matin
On n'attendait plus rien
À trois heures du matin
Le dernier verre de vin
À quatre heures du matin
La porte s'ouvre enfin
Et tu crois tenir le bon dieu
Dans le creux de ta main
LES PETITS DIEUX DE LA MAISON
Je me souviens le dé à coudre
Fuyait tes doigts malicieux
Les lunettes fuyaient tes yeux
Les objets semblaient se dissoudre
Quand tu les appelais je crois
Ils revenaient autour de toi
Les petits dieux de la maison
Souriaient en te voyant faire
Avec amour et déraison
Si maladroitement ma mère
Au long des jours au long des mois
T'usant le cœur t'usant les doigts
À des besognes ménagères
Comme un ange un peu maladroit
Je me souviens dans le potage
Le sel était trop abondant
Ça brûlait mystérieusement
Nous cependant nous restions sages
Car ton sourire était si doux
Que nous ne goûtions rien du tout
Les petits dieux de la maison
Souriaient en te voyant faire
Avec amour et déraison
Si maladroitement ma mère
Au long des jours au long des mois
T'usant le cœur t'usant les doigts
À des besognes ménagères
Comme un ange un peu maladroit
Je me souviens de notre enfance
On disait "comme ils sont nombreux"
Devant notre appétit monstrueux
Tu te lamentais il me semble
Mais à table vite attendrie
Tu invitais tous nos amis
Les petits dieux de la maison
Un jour ont choisi de se taire
D'autres mains rangent le salon
Mais où est ton amour ma mère
Devant ce silence et ce froid
Ton ombre m'apparaît parfois
Cherchant s'il n'y a rien à faire
Comme un ange un peu maladroit
UNE ABEILLE
Vigne et roses enlacées
Sur la maison délaissée
S'obstineront encore à fleurir
Encore un jour une année
Et mes rétives pensées
S'obstineront à se souvenir
Souvenir comme une abeille
Tu bourdonnes à mes oreilles
Troublant mon cœur qui sommeille
J'oublie et je me rappelle
Souvenir comme une abeille
Tu m'endors tu me réveilles
Tu m'enivres de paresses
Tu me grises et puis tu me blesses
Vigne et roses enlacées
Me retiennent captivée
Était-ce la maison que j'aimais
La douceur des matinées
Ta main sur ma main posée
Elle était venue je revenais
Souvenir comme une abeille
Tu bourdonnes à mes oreilles
Troublant mon cœur qui sommeille
J'oublie et je me rappelle
Souvenir comme une abeille
Tu m'endors tu me réveilles
Tu m'enivres de paresses
Tu me grises et puis tu me blesses
Vignes et roses enlacées
Plus fidèles et plus liées
Que nous ne l'étions en ces jours-là
Se mourront la même année
Sur la maison délaissée
Le jour où je ne reviendrai pas
Souvenir comme une abeille
Tu bourdonnes à mes oreilles
Troublant mon cœur qui sommeille
J'oublie et je me rappelle
Souvenir comme une abeille
Tu m'endors tu me réveilles
Tu m'enivres de paresses
Tu me grises et puis tu me blesses
GRAPPE DE RAISINS
À vingt ans
Les amis se ressemblent
Quand nous nous retrouvions
Dans la chambre ensemble
Grappe de raisins grains d'épi
Nous étions amis
Mais la vie nous a désunis
Grappe de raisins
Nous étions copains
Mais la vie toujours
Fait son pain
Comme des épis nous étions unis
Serrés tout autour
De la table
Détestable
Était le vin
C'était un Polonais
Qui parfois croyait
Qu'il était Chopin
Et sur un vieux piano
Il jouait très faux
Et chantait sans fin
Et c'était toi et moi
Et nous ne savions
Même pas nos prénoms
Et c'était toi et moi
Et nous ne savions
Même pas nos prénoms
À vingt ans
On aime la musique
Nous avions des instruments
Antiques magiques
Grappe de raisin grains de blé
Nous étions liés
La vie nous a désaccordé
Grappe de raisins
Nous étions copains
Mais la vie toujours
Fait son pain
Comme des épis nous étions unis
Serrés autour
D'une guitare
Il s'égare
Notre refrain
C'était un guitariste
C'était peut-être un Américain
Est-il parti aux Indes devenu Bouddhiste
Je ne sais plus bien
Et sur tes cheveux blonds
Je ne pourrais plus
Mettre aucun prénom
Et sur tes cheveux blonds
Je ne pourrais plus
Mettre aucun prénom
À vingt ans
Les amis se confondent
L'un revient quand
L'autre vagabonde au monde
Grappe de raisins grains serrés
Vous vous détachez
Car la vie a plus d'un été
Grappe de raisins
Nous étions copains
Mais la vie
A plus d'un refrain
Comme des épis nous avons mûris
À cette table on perd sa place
Il s'efface
Notre chagrin
Il s'efface
Notre chagrin
L'HIVER DES CŒURS
Les statues sous leur casque
Ont vieilli
Les poissons dans la vasque
Ont pâli
C'est l'hiver, la bourrasque
À Paris
Et la neige est un masque
À la vie
Les maisons sous le ciel
Ont blanchi
Les parcs et les ruelles
Sont sans bruit
C'est l'hiver si cruel
À Paris
Et la neige est l'hôtel
De la vie
L'hiver des cœurs
C'est la saison
Des longues heures
À l'abandon
Les gens sous leurs manteaux
Qui sont gris
Les taxis, les métros
Qui s'enfuient
C'est l'hiver, un corbeau
Sur Paris
Et la neige est l'enclos
De la vie
Les néons réconfortent
La nuit
Quelqu'un frappe à ma porte
Et c'est lui
Et alors que m'importe
Paris
Car la neige m'emporte
Avec lui
L'hiver au cœur
En ta maison
C'est la chaleur
Nous nous aimons
CANEVAS
C'est à l'heure où les harmonicas
Vont saluer la nuit
Que je fais le point virgule sur moi
Sur moi et sur ma vie
J'ai donné j'ai pas pris
Canevas de ma vie
C'est à l'heure où les marins tatoués
Font le point sur Bombay
Que je mets le cap sur mon passé
Passé vide à pleurer
J'ai donné j'ai pas pris
Canevas de ma vie
C'est à l'heure où le voisin du bas
Met le cap sur télé
Que je mets les voiles sur les toits
Où je voudrais voler
Voler pas vu pas pris
Canevas de ma vie
C'est à l'heure où les voiles se posent
Sur un coin de ma mémoire
Que je revois le jardin d'une rose
Que je n'ai pas su voir
J'ai pas su c'est passé tant pis
Canevas de ma vie
C'est à l'heure où les harmonicas
Vont saluer la nuit
Que je fais le point virgule sur moi
Sur moi et sur ma vie
J'ai donné j'ai pas pris tant pis
Canevas de ma vie
DEMI-SOMMEIL
Oh tes mains sur mon corps lisse
Troublant dans ce décor russe
Quand tes mains sur ces dunes glissent
Je crois naïve à une puce
Évidence c'est le sommeil je n'y peux rien
Imprudence je suis la proie d'un magicien
Innocence c'est malgré moi que je t'appartiens
Je bouge dans le lit nue
Lorsque ta bouche me frôle
Je sens mon rêve qui rue
Et je dis je suis toute drôle
Évidence c'est le sommeil je n'y peux rien
Imprudence je suis la proie d'un magicien
Innocence c'est malgré moi que je t'appartiens
Lasse de mon sommeil flûte
Quand enfin je m'éveille rose
Mon rêve m'a bien plus chut
Mais le raconter je n'ose
Évidence c'est le sommeil je n'y peux rien
Imprudence je suis la proie d'un magicien
Innocence c'est malgré moi que je t'appartiens
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